« Un faux pas »
Par Augustin Bimenyimana
C’était un vendredi soir. Mon père, d’une probité incorruptible, une sagesse incarnée, réunit toute la famille pour lui faire part de sa résolution de me payer l’Université. J’étais le seul de ses enfants à avoir les Humanités Générales. Rusé, j’avais mis toute la journée à tromper mon père analphabète que j’aurais besoin, à l’Université, des livres appelés Face book, WhatsApp, Twitter, Viber, etc. et qui coûtaient des milliers de francs. Avec la couverture de ma mère, qui m’aimait tant et n’y comprenait rien, mon père vida le coffre-fort familial et me confia les sous. Je jurai par toutes les divinités que j’en ferai bon usage. Faux! J’avais d’autres projets. Déshonorants même. Des projets comme la course aux plaisirs corporels: séjourner avec de belles nanas dans des lieux de loisirs, manger et boire à volonté... L’internet m’avait suffisamment formé. Il fallait quitter cette contrée où la probité d’un père est synonyme de dictature absolue et condamne à vie un jeune homme sous les verrous d’une éducation à la burundaise. Le pauvre père avait vendu tout son bétail pour me tracer une vraie destination. Notez qu’avec le Certificat des Humanités Générales, je ne valais pas grand-chose. Il fallait embrasser l’univers de nouvelles connaissances. Deux millions de francs burundais en poche, le samedi, je descendis.
-Quel Washington ! Parlai-je à un homme, plutôt à moi-même en apercevant Bujumbura. J’étais ébahi en voyant de loin la capitale scintiller. Je partais à la conquête du plaisir. Le bus ne roulait pas, il volait. Moi-même je l’encourageais mentalement à être aussi rapide que l’éclair. Imaginez-vous un homme qui n’est jamais monté sur un vélo. Alors à bord d’un véhicule… Cette ville allait m’accueillir. Je serai bientôt l’hôte de cette jungle merveilleuse. Je respirai enfin l’air des vivants. On aurait dit un rescapé qui sort fort victorieux mais épuisé d’un abime béant et sombre. Et qui jaillit dans un monde ensoleillé pour s’enivrer des parfums et jouir même de la poussière! En lisant sur les pages de mon ego, je voyais que le caractère que je revêtais contribuerait à la réalisation de mes songes. Chacun a des penchants, des goûts et un tempérament inhérents à son être. Je suis un passionné du beau. C’est naturel. Ce qui me fait souffrir, c’est vivre dans les ordures. Ce malaise est gravé dans mes veines depuis plusieurs siècles. Il me tenaillait à longueur de temps. Ses élancements me perçaient de leurs lances. Ne fallait-il pas pousser un grand ouf pour cette promotion ? Célébrer cette chance qui venait de me sourire? Un cochon se complait dans la gadoue. Servez-lui dans un plat propre, il renverse les mets par terre pour ajouter des ordures. C’est sa façon d’être. Or, moi je suis un homme. Un jeune qui sait ce que c’est que la « cueillette du jour ». Une vie sans plaisir ? Non et non ! Avec deux millions de francs burundais, je dois mettre un terme aux siècles de patates douces.
-Jusqu’ici, il m’a été infligé une vie de chien, sans possibilité de rien y changer, regrettai-je. Mais maintenant, adieu campagne et ton règne d’obscurité. Dans mon for intérieur il n y a qu’un seul mot: plaisirs mondains. De l’argent pour payer les instants de plaisirs, pour acheter des appétits et des appâts et le milieu où je pourrais laisser s’exprimer mes transports. Deux millions de francs burundais! Des vaches avaient été vendues pour mon plaisir. Je vibrai d’impatience de pénétrer les entrailles de cette contrée et la voiture semblait éterniser sa marche. J’avais mon sac en bandoulière comme les mercenaires qui partent à la recherche d’une autre face de la vie. La voiture s’arrêta.
-C’est à Mukaza, jeune homme. Sortez! S’écria le convoyeur. Je poussai un ouf de contentement. Le « sortez… » interrompait mon sommeil diurne dans lequel, expert, je construisais des villas en Espagne.
-Je vais goûter à toutes les sauces qu’il y aura et, comme dans tout duel, mordre ou être mordu. Je mordrai, décidai-je. Pas demain. Non, aujourd’hui! Demain ne m’appartient pas. La philosophie me l’a dit. Du carpe diem. Oui. Du carpe diem. L’huile dont on est sûr est celui dont on est oint dit un adage burundais. Un nouveau monde, on l’explore en acteur et non en spectateur qui rive ses yeux à l’écran à la recherche de scènes émouvantes. On l’explore, oui, mais surtout on se noie dans sa pluie pour sentir sa chaleur ou sa froideur. Qui demande la couleur de ses entrailles, on lui dira qu’il ya du vert, du jaune,…. Telle est la réflexion d’un ami d’enfance et camarade d’école. Je décidai d’être l’acteur principal pour toutes les actions qu’il y aurait. Je jurai de ne pas retourner chez mes parents. Quelqu’un m’aida à composer un numéro de téléphone afin de joindre un ami, habitué de la ville, qui devait m’entraîner à avoir du « plaisir au vrai sens du terme ». C’est cet ami si épicurien qui m’avait suggéré la très bonne idée de cueillir le jour. Il vint dare-dare et, après m’avoir observé, il rit à en crever. Visiblement, j’avais de la poussière sur mon pantalon. Mes chaussures, vieillies par le temps, avaient des rides; et mes cheveux étaient en broussailles. Quant à ma démarche, on aurait dit celle de quelqu’un dont les doigts des pieds sont infestés de chiques.
-Vite, allons au Village market, cria t-il. Là, il était question de jeans à plusieurs motifs, des t-shirt adaptés à la réalité des jeunes citadins et des souplesses. Il fallait aussi une casquette et des lunettes fumées à porter non sur les yeux mais sur le front. Dans le salon de coiffure, une coiffure dite jogo m’attendait. C’est un genre de coupe qui laisse beaucoup de cheveux sur le dessus de la tête, tout en rasant sur les deux côtés. Cette coupe doit avoir été inspirée des coiffures iroquoises. De cette manière, la tête devient comme celle d’un hérisson. Comme elle était bizarre cette coiffure! Je dus aussi changer ma démarche. Et ma façon de porter le pantalon. Désormais, la ceinture ne devrait être nouée qu’au niveau des fesses. C’est le style Pocket down comme disent les anglophones burundais. Habillé de ma nouvelle tenue de ville et bien parfumé je partis, avec mon ami Gito, « manger de l’argent ».
-En ville mon ami, me dit Gito, on ne mange pas seul son argent. D’ailleurs, on ne saurait pas avoir de l’appétit. Pour être soi-même, il faut être accompagné par l’une de ces belles créatures que Dieu a créées pour notre plaisir. Il me chercha donc l’une d’elles. Mes rêves, interrompus par l’arrêt du bus, reprirent à vive allure: goûter à toutes les sauces, danser toutes les musiques, fréquenter tous les bals et séduire toutes les belles créatures. Non pas être mordu mais mordre.
Je ne saurais tourner ici toutes les pages de mon intimité, ni de mes sensations en ville. Savourez cette miette de mon histoire. Narrer mes témoignages de campagnard naturalisé citadin, mes hauts, mes bas, mes enfers et mes paradis pendant mes deux jours en ville, prendraient tout un siècle. Un homme à la conquête du « plaisir au vrai sens du terme » était en proie à une mort au « vrai sens du terme ». Le destin est une ligne tracée qu’on ne fait que suivre. La fille, que mon ami Gito me chercha ce samedi, était une diablesse déguisée. Mon Dieu! Elle était élancée, avait tondu ses cils et mis de la peinture rouge sur ses lèvres. Sa jupe cachait seulement ses fesses et son sexe. On pouvait facilement voir le nombril et le bas ventre. Au restaurant, elle a pris soin de manger de tout ce qui existait comme menus. Facture: trois cent mille de nos francs, sans les vins. En contrepartie à mes billets, je n’ai reçu qu’un baiser et un sourire. Ça m’a plu, certes. Je n’avais pas de mon vivant senti le gout d’un baiser. Première prouesse. Je venais de mordre. Les actes qu’un individu pose in situ sont le reflet, le miroir quasi réaliste de son intérieur, de son ego. La concrétisation en actes vient justifier que tel est ce qu’il est et non ce qu’il n’est pas. Elle vient justifier le soi de quelqu’un. Si vous m’observez peindre ma vie, du moins quelques uns de ses contours avec des couleurs plus où moins adéquates, mariées ou non, c’est parce que je suis moi-même le témoin de moi-même. Mon ego me dicte les actes. Mon ego est mon identité. Il est mon personnage. Il est omniprésent et prend plus ou moins de place dans ma conscience. C’est un personnage auquel je m’identifie. C’est la partie de moi qui sait ou qui croit savoir. C’est lui qui est en train de se juger maintenant, de témoigner, de critiquer et de se critiquer. C’est lui qui a prévu ces mauvaises manières de faire. C’est lui enfin qui me culpabilisera et qui fera que je retourne chez mon père après avoir commis tant de gaffes. Il faut des abus ou bonnes intentions, des atteintes aux bonnes mœurs ou de bonnes conduites dans la société pour réaliser qu’un homme n’accuse pas in petto d’une anomalie ou s’il est normal. C’est de cette manière que l’ego se concrétise par l’ouverture de l’intérieur et se réalise par les actes bons ou mauvais. Le monde est un stade où le mal joue le bras de fer avec le bien. Les cases en blanc de mon curriculum vitae commençaient à se remplir de mésaventures voulues tandis que mon ami, qui avec ses salopes d’amies mangeait à satiété et buvait à sa soif sous ma facture, ne cessait de me signifier qu’il faut manger vite son argent car la mort nous guette. Après-midi, je quittai le sauna pour la piscine. Histoire de faire le poisson. Autour de moi nageaient de belles créatures à moitié habillées.
-Mon Dieu, fais que j’en ai une. Je me sentis peuplé d’autres envahisseurs lointains : l’attraction et la peur, la faiblesse, la joie, l’étonnement, l’amour,… J’optai pour en draguer une malgré moi. Mais il fallut d’abord exhiber mon argent pour l’attirer et me faciliter ainsi la tâche. Après un instant de causerie, elle accéda à ma demande de sortir avec elle. Elle alla enlever son maillot de bain. 16 heures approchaient. Je m’étais loué un taxi luxueux pour tout le weekend, à trois cent mille francs burundais. Quelques minutes après, elle revint. Vous savez comment elle était ? Je vais tenter une description. Grandes lunettes aux yeux, cheveux longs défrisés, lèvres pulpeuses. Belle et fraiche visiblement. Bien parfumée. Son parfum attira des esprits qui vinrent me dicter comment j’allais mordre. Son sourire faisait chavirer mon cœur et son regard me fit perdre la tête à l’instant. Elle était vraiment douce, tendre, élégante, séduisante, coquette et émotionnelle. Son rire était une vraie mélodie que je voudrais chaque fois entendre. Je ne saurais décrire l’apparence de sa peau. Quelque chose de doré, de satiné qui retenait l’attention, quelque chose de joli qui faisait monter ma température. Ses fesses étaient arrondies et formaient une entre parenthèse. Vraiment, avec un tel derrière, nul homme ne serait indifférent. Me voyant presque foudroyé, incapable de souffler mot, elle s’improvisa bouffonne, drôle, voulut m’amuser par ses facéties. Sa thérapie finit par me faire recouvrer la santé et elle commença à me couvrir de baisers langoureux. Pas normal ça! Elle n’avait pas de pudeur.
-Dans le taxi, ma chère! Je ne voulais que me cacher dans la voiture car le comportement qu’elle affichait au nez et à la barbe des passants me déshabillait franchement. C’était une prostituée professionnelle. Une salope. Et vous savez, cette engeance sait par tous les moyens chercher de l’argent. Nous partîmes vers l’hôtel le plus cher de la capitale ayant le snack, l’aire de jeu, la piscine, le bar,...comme attractions. Toujours, j’avais honte des gestes indécents qu’elle osait sur moi. Il me fallut d’abord prendre de quoi inhiber cette honte : une lampée d’alcool. Comme ça, avec cet « homme » en moi, les scrupules disparaitraient. Nous allâmes ensuite dans la Boite de Nuit. Sous l’effet des lampes intermittentes et polychromes, j’étais devenu une lampe, une couleur. J’étais phosphorescent. Dans cet enfer terrestre, j’étais devenu quelqu’un de ce cycle infernal. Elle a essayé de manger et de boire cher. Nous avons dansé jusqu’à m’épuiser. Je suis rentré seul la nuit, saoulé et épuisé à mourir après lui avoir payé les instants de plaisir vécus ensemble. Je venais aussi de mordre. Elle resta danser jusqu’à l’aube. Quand je fus en plein sommeil, elle vint nue sur mon lit, me caressa mille fois, je lui proposai de la pénétrer et voyant l’argent que je venais de lui donner, les poulets qu’elle venait de croquer et les bouteilles qu’elle venait d’ingurgiter sur ma facture, elle répondit oui. L’acte s’accomplit sans préservatif et elle me quitta comme l’éclair. Le dimanche matin, je constatai qu’il ne me restait que moins d’un million de francs pour le plaisir. Je me rendis compte aussi que je m’étais réveillé motivé, histoire de démontrer que cette journée pouvait aussi m’appartenir. Mais je doutais aussi de passer cette journée sans mourir. La mort me guettait. Je constate que samedi j’ai acheté whatsapp et Facebook. Il me reste Twitter et Viber pour tout livre. Je voulus aller à la messe. Impossible. Deux « hommes» en moi m’intimaient chacun ses impératifs. Un me disait : « Vas à la messe et demande pardon à Dieu ». L’autre s’y opposait : « Tu n’a rien commis comme péché ». J’optai pour ne pas y aller. Mais aussi la fatigue et l’alcool étaient à leur comble. Je restai cloué au lit pendant plusieurs heures. Après-midi, je partis pour un autre plaisir mondain. J’avais de la chance de trouver des filles à ma convenance. Une fille m’attendait pour partager des instants romantiques. Dans le boulevard pavé, je la vis venir à moi, mignonne et sexy. J’inventai des stratagèmes pour l’avoir :
-Vous êtes bien mise mademoiselle! -Merci, répondit-elle avec une voix angélique. C’était une autre créature bien sculptée. Impossible de jeter de l’encre sur son attraction. Il ne fallait pas aussi m’infliger un tel châtiment. J’étais pris dans ses toiles comme une mouche aveugle. Elle pourrait m’écraser à l’envie comme une punaise.
-Où est-ce que vous partez si bien mise belle fille ? Puis-je vous accompagner ?
-Volontiers.
Le reste, en cours de route. Maintenant on peut se demander quelque chose: l’argent dans la poche d’un homme communique-t-il avec les coquettes ? Pas nécessaire de décrire cette troisième fille. Les mondaines s’habillent presque de la même manière. La quasi nudité est leur champ. Ayant peut-être lu dans ma poche, ou un génie lui en ayant dévoilé le contenu, elle se jura de me faire retourner à la colline les mains vides. Un voisin de là-bas passa à côté de moi et me demanda les nouvelles de Cendajuru. Je jurai par la terre et le ciel que je n’étais que de Kiriri. Il ne fallait pas que la fille ait une idée d’où je ressortais. Je ne voulais pas louper une occasion de mordre. Mordre encore une fois.
-L’huile dont on est sûr est celui dont on est oint. Pas de demain. Le taxi loué pour le week-end arriva. Nous voici à bord vers San Safari Club Hôtel. A table. Menu. Commande. Elle me fit, là, son jouet. Je n’étais que son pantin. Elle me trainait comme un pion ça et là. Les clients voisins s’esclaffaient et j’ignorais que j’étais leur sujet de débat. Faible, je me laissais faire. Quelle idiotie! Comme une fille à laquelle on dirait: « Tu es belle, je t’aime » et qui se laisserait aller. Elle devient comme un enfant avec qui on accomplit un jeu d’enfant. Gamine, elle peut même t’enlever les chaussures au nez et à la barbe des hommes. Des baisers à gogo allaient alourdir sans doute la facture. Un couple de jeunes gens, qui y était sorti pour prendre du lait et des sandwiches et préparer leur mariage, m’appela comme pour me demander quelque chose et me souffla : « cette fille n’est pas honnête. C’est une diablesse à l’apparence d’ange. Elle est réputée « donneuse de sexe, de virus et videuse de poche ». Pay attention, please !
Déjà hypnotisé, je fis la sourde oreille et je lui proposai qu’on changeât de milieu. Cette jeteuse de sorts m’avait ensorcelé. J’avais perdu tout sens commun. Je n’étais peut-être pas moi ou mon moi m’avais corrompu. Un autre « homme» dans moi était déjà maître de moi, m’intimait ad libitum ses ordres. J’agissais sous ses dictées depuis belle lurette et il semblait orienter ma destinée. Des fois, il m’arrivait d’en avoir assez des extravagances de ces filles coquettes, aux mœurs légères, mais pas moyen de couper court avec les relations avec elles. Les filles de chez nous, la fumée de la cuisine les rendait noires comme la suie et souillait leurs charmes. C’est de cette manière qu’il ne m’arrivait pas de confier mes transports à ces victimes de la condition humaine.
Mais aussi, le lourd poids de nos parents conservateurs nous avait condamnés à plusieurs années dans le ghetto d’une éducation traditionnelle stricte. Une proie dans mes griffes à mordre! Rater serait un faux pas. Mon père ne tolérerait pas ces banalités, lui qui ne cessait pas de me répéter au clair de la lune et autour du feu : « Ne cours pas derrière les jupons sous le grand risque de voir de quel bois je me chauffe». Voilà comment était né le complexe. Dans tous les milieux fréquentés, les filles draguées mangeaient comme quatre et buvaient comme des trous. Notez que dans le monde du plaisir, on paie même le vent que la Providence offre gratis.
Nous sommes en route vers chez elle. C’est courir trop de risques. Mon esprit n’en devinait qu’un : être flétri, chassé par ses parents dont j’assimilais le comportement à celui de mon père. D’autres risques, et les vrais, ne me venaient même pas à l’esprit. L’arbre sur lequel je m’accrochais était toxique. Un être que les savants n’ont jamais réussi à chasser circulait dans sa sève et ses fruits. Mais ledit arbre paraissait frais, vert et fleuri: ses fleurs odorantes et ses fruits mûrs. Il suffirait de goûter à ses fruits pour clôturer l’exercice de ma vie. Elle me dit que ses parents étaient montés dans les provinces pour saluer les leurs. Nous passâmes d’abord sur la véranda, puis au salon et enfin dans sa chambre à coucher où il y avait trop d’écrits et d’images sur le sexe. Je ne savais pas que c’était fini. Je voulais tirer parti de cette rencontre. Comme j’avais l’habitude de le chanter, demain pouvait ne plus m’appartenir. Lorsque je commençais à me déshabiller pour consommer l’acte sexuel, les mots me soufflés par les fiancés me revinrent à l’esprit. Allais-je mordre où être mordu ? Je réfléchis un peu. La vie que mon père avait réalisée pour moi allait être gâchée dans une seconde par du sexe éhonté. Je réalisai que j’avais oublié mon téléphone sur la table du San Safari Club Hôtel et trouvai un prétexte pour foutre le camp. Je la suppliai de me laisser aller le reprendre puis revenir pour la consommation de l’acte. Elle se douta que je ne reviendrai pas. Son doute était fondé. Elle était on ne peut plus excitée. Je la laissai dans sa chambre, nue comme elle était à la naissance. A force de m’habiller vite, mon portefeuille tomba à mon insu et resta dans la chambre. Tellement elle était remplie des derniers deniers familiaux.
Ce fut la fin des deux millions de francs burundais et le début de la nouvelle conception de la vie. Après déchirure du rideau qui bandait mes yeux, je réalisai que plutôt que de mordre j’avais été mordu au vrai sens du terme. Je remarquai que mon corps était couvert de blessures. Le téléphone avait été volé et le porte-monnaie aussi. Je constatai que j’étais mordu à maintes reprises et qu’à l’agonie la mort n’avait pas d’appétit pour un corps trompé par la philosophie et la jeunesse. Plusieurs demain m’appartenaient, certes. Ma dernière compagne m’avait dit pourtant que les agents de la Croix Rouge lui avaient refusé de sauver une vie car son sang était souillé. Je m’en étais foutu. Payer de lourdes sommes pour mériter un baiser? Pauvre enfant prodigue. J’avais corrompu les bonnes mœurs. J’ai dilapidé en deux jours tous les sous destinés aux études. Ma troisième compagne mourut du SIDA le même lundi. Je réfléchis un peu et redoutai que j’avais couché au moins avec la deuxième fille. Non, c’était dans un rêve. Je me félicitai de n’avoir pas attrapé le virus et me désolai d’avoir été grièvement mordu plusieurs fois. Malgré les félicitations que je m’adressais, je n’étais qu’un sale chien. Chien au sens burundais du terme. Mon égo m’avait trompé. Je n’étais victime que d’une malédiction, peut-être divine, parce que j’avais honni mon père intègre. Cette nuit, je n’ai pas fermé l’œil. J’ai dormi debout. J’ai regretté tout l’argent jeté par les fenêtres. J’ai maudit mon ego. Je m’injuriai comme un fou. Je m’affolai.
Le lundi, de bonne heure, je pris le bus pour retourner vers le sol qui avait vu pousser mes premières racines. J’avais d’abord pris soin d’enlever la coiffure jogo, de bruler la tenue qui avait contribué au gaspillage des deniers familiaux et de dire au revoir à cette jungle corruptrice de mœurs. Ce fut aussi un au revoir à ces filles nues qui trompent par leur apparence et dépouillent les mauvais touristes. J’étais déjà mordu. Oui. Les filles m’avaient mordu car je m’étais ignoré. Je compris que la ville est comme une forêt touffue. Y réussir c’est savoir s’y frayer ne fût-ce qu’un petit passage.
C’est une jungle qui corrompt les non-éclairés. Ils se perdent dans ce dédale et risquent la mort. Je n’avais pas d’yeux. Je venais d’en avoir deux. L’homme seul ne voit pas. Il se déboussole au moindre brouillard. Pourtant, les fiancés m’avaient éclairé. L’ego s’en est foutu. La faute à l’ego. Je compris que plusieurs demain pourraient m’appartenir car encore jeune. Mon moi m’avait creusé un tombeau et j’avais acheté la mort avec mes sous. Je venais de ressusciter. Les filles fréquentées inspiraient un amour sans consistance, un amour bourré de haine.
J’atterris enfin devant mon père, m’allongeai par terre, offris le fouet à sa main dure pour un châtiment mérité. Il s’y refusa. Je me courbai devant lui et lui demandai pardon plusieurs fois pour toutes les désobéissances enregistrées. Des rivières de larmes coulaient de mes yeux. Je lui signai un papier comme quoi je rembourserai tous les sous jetés par les fenêtres, après mes études. Il restait peu de chances que je fréquente l’Université. Je lui jurai allégeance pour le restant de mes jours. Il me gronda. Mais, constatant qu’il ne pouvait aller en contradiction avec la morale chrétienne qu’il ne cessait de prêcher à l’église, il me pardonna. C’était la première fois de ma vie que je commettais de telles fautes lourdes. J’étais déjà maudit de Dieu. Je devrai passer devant le prêtre pour une pénitence.