« Pourquoi pas moi »
Par Jean Claude Ndayiragije
Dans la région du KIRIMIRO, il fait parfois très froid surtout pendant la saison sèche. Est-ce ce qui donne à la plupart des habitants de cette localité un visage très foncé, comme c’est le cas de Capitoline ? Celle –ci n’était pas seulement de teint très noir, elle était aussi très laide. Par conséquent, dès l’âge de la puberté, aucun garçon de son âge ne s’intéressait à elle.
Dans sa famille, elle était enfant unique. Ses parents, CANDIDUS et SOPHIE, des illettrés, menaient une vie assez difficile. Ils vivaient du travail de la terre. Quelques fois, les récoltes n’étaient pas bonnes car, à cause de la pauvreté, ils semaient sans pouvoir fertiliser leurs champs avec de l’engrais.
A l’âge d’être scolarisée, Capitoline avait été inscrite par son père à l’école primaire de cette localité, E.P. Rugero. Là, elle était totalement isolée. Elle y manquait de camarades d’école. Ils la repoussaient tous à cause de sa laideur, garçons autant que filles. Elle en souffrait énormément. Heureusement, chaque fois qu’elle rentrait, elle racontait à ses parents tout ce qui lui était arrivée à l’école. Ces derniers essayaient de la rassurer, tout en lui montrant les bienfaits de l’école, afin de calmer la situation. Il était arrivé même que Capitoline songe à déserter l’école à cause de cette situation, mais également parce qu’il lui manquait à la maison un autre modèle à suivre. De plus, comble de malheur, elle subissait à l’école des moqueries de la part de ses camarades de classe.
Un jour, un enseignant demanda aux élèves les mots de la même famille que le mot « LAID». Au lieu de répondre à la question posée, tous les élèves éclatèrent de rire tout en regardant Capitoline. L’enseignant demanda aux élèves ce qui les faisait rire mais personne ne répondit. Plutôt, ils se mirent à rire davantage. L’enseignant ne parvint pas à savoir la cause de cette hilarité mais les élèves, eux, le savaient. Ils se moquaient de « la laideur de Capitoline ». Heureusement, malgré tout cela, Capitoline avait de bons résultats en classe.
Après les études primaires, elle fut orientée au Lycée dite « Ecole Normale des Filles de Gitega ». Cet établissement comptait beaucoup de jeunes filles très coquettes. C’est une école sous conventions Catholique. Elle était dirigée par les sœurs BENE MUKAMA, dont Sœur Bernadette était la représentante légale. Cette dernière avait des compétences en matière d’éducation des enfants et des adolescents. Elle donnait à ses élèves une liberté quasi-totale parce qu’elle était consciente qu’elles étaient majeures et avaient besoin d’autonomie pour mieux s’épanouir.
Pour cela, le 1er dimanche de chaque mois était jour de sortie. Et d’ailleurs, tous les établissements de la ville de GITEGA offraient sortie ce jour-là. C’était une bonne occasion pour les élèves de pouvoir circuler librement dans la ville. C’était également une opportunité pour filles et garçons d’échanger et de nouer des copinages romantiques propre aux milieux scolaires, ainsi que de s’offrir des cadeaux.
De retour dans les dortoirs, les jolies filles de l’ENF de GITEGA avaient l’habitude de se raconter toutes leurs aventures, depuis le commencement de la sortie jusqu’à la fin, tout en exhibant lettres, cadeaux et photos reçus des copains.
Cependant, ces belles filles ne parvenaient pas à comprendre pourquoi c’est Capitoline qui avait une multitude de lettres de différents garçons et de différents établissements, voir même de commerçants. Elles devenaient très envieuses de la voir en connexion avec beaucoup de copains malgré sa laideur.
Capitoline tenait beaucoup à aimer et être aimée. Quelquefois, elle portait des minijupes afin de séduire les jeunes gens de son âge et, pourquoi pas, les hommes mûrs. Elle seule savait à quoi s’en tenir sur le résultat.
Après avoir vu ces lettres de Capitoline, elles se demandèrent : « Comment une fille aussi laide qu’un corbeau, peut-elle avoir plus de copains que nous autres ?» Il faut se méfier. Après le repas de midi, ces filles vaniteuses décidèrent de sonder Capitoline pour connaître la stratégie qu’elle utilise pour séduire tant de garçons.
Parmi ces lettres que possédait Capitoline figurait celle écrite par Miburo. Il la lui avait écrite le 14 Février, jour de la saint Valentin, fête dédiée aux amoureux. A cette date, les amants s’envoient des lettres et des fleurs pour se souhaiter une excellente fête.
A ma chère amie Capitoline,
Je t’embrasse chaleureusement.
Le but de cette petite lettre, c’est de te rappeler que je t’aime à mourir.
Vraiment je t’aime éperdument.
Je pense à toi autant que tu penses à moi.
Souviens-toi du proverbe « l’oiseau est sur l’arbre mais son esprit est au sol.»
Tes yeux sont aussi beaux que les colombes. Tu es toute belle et tu n’a aucun défaut.
Tu es mon âme.
Je t’aime comme l’étoile aime le ciel ;
Comme le poisson aime la mer.
Et si tu ne m’épouses pas je ne me marierai jamais.
Tu sais bien qu’où tu mourras je mourrai.
Mon unique passe-temps.
Ma seule joie.
Excellente fête de saint valentin.
Je t’embrasse encore une fois chaleureusement.
C’était ton bien aimé Miburo.
Malheureusement, cette lettre avait été vue par Rénilde, l’une des camarades de classe de Capitoline. D’ailleurs, au dortoir, elles partageaient le même lit.
De plus, la famille de Rénilde était voisine de celle de Miburo.
Après avoir vu cette lettre, Rénilde mit tout en œuvre pour la voler à Capitoline. Miburo était un agent informaticien de la commune de GITEGA. Il y travaillait depuis cinq ans. Il avait terminé ses études à l’école technique de KAMENGE, en informatique d’opérateur. Pour lui, la vie était belle à telle enseigne que tous les soirs, après le travail, il passait par le bar « KUKAYAGA » pour se rafraichir. Il était encore célibataire.
Rénilde, sa voisine, connaissait bien son caractère. Ce qui fait qu’elle était étonnée d’entendre que Miburo pouvait tomber amoureux d’une laide comme Capitoline.
Pendant les grandes vacances, elle montra la lettre volée à Miburo. Elle voulait juste savoir si réellement il aimait Capitoline. Miburo protesta avec énergie. Il était choqué. Quelques jours après, la nouvelle parvint aux agents de la cité, y compris les camarades de Miburo. C’est ainsi qu’un jour, alors qu’ils partageaient un verre au bar KUKAYAGA, ils commencèrent à le taquiner:
Quelques mois plus tard dix garçons, provenant de milieux différents et dont Capitoline se proclamait amie, se rencontrèrent par hasard chez elle. Ils ne se connaissaient pas. Pendant que Capitoline se maquillait pour venir tenter de séduire au moins l’un d’eux, ces derniers commencèrent à converser. Ils se rendirent compte que leur visite avait un but commun ; dissuader Capitoline de continuer à s’autoproclamer leur amie.
On finit par découvrir que toutes les lettres avaient été écrites par Capitoline elle-même, en faisant apparaitre les noms des différents jeunes issus de différents quartiers. C’était dans le but de montrer aux autres filles qu’elle aussi était considérée et courtisée. Comble de malchance, un jour Miburo croisa Capitoline. Il se mit immédiatement à l’invectiver, tout en lui montrant la lettre qu’il tenait à la main.
Comme Capitoline savait ce qu’elle avait fait, elle resta bouche cousue. Miburo se mit à la gifler et à la tabasser sans pitié. Capitoline demanda pardon, mais Miburo ne voulait rien entendre. Humiliée, le visage en larmes, Capitoline battit en retraite.
Arrivée à la maison, elle se coucha dans l’obscurité, sans se déshabiller, le cœur plein d’amertume. Toute la nuit, elle ne ferma pas l’œil. Elle se tournait et se retournait, broyant du noir et submergée de honte.
Elle se demandait sans cesse : « Ma peine prendra-t-elle fin un jour ? Certes non ! » Elle en voulait à Imana qui lui causait tout ce mal puisqu’il l’avait créé fille et si moche. Ah, si au moins elle était un garçon…..
La vie est pleine d’obscurité ! Capitoline, désespérée, planifia le suicide par pendaison.
Mais avant de s’exécuter, elle laissa ce mot : « Chers parents, chers enseignants de l’E.N.F Gitega, je vois que c’est impossible de continuer à vivre sur cette terre où tout est éphémère et où personne ne m’aime. Adieu, soyez heureux…. !
Texte 4ème de couverture :
Depuis sa création jusqu’à nos jours, l’Université du Burundi a formé des milliers d’intellectuels dotés de compétences multiples et variées : des médecins, des architectes, des physiciens, des pédagogues, des hommes et femmes des lettres, etc.
A côté des travaux de recherche, pour la plupart de fin d’études, le Prix Littéraire Rumuri se présente comme l’unique cadre d’encouragement de la création littéraire et de détection des talents dans ce domaine, non seulement au sein de cette Université qui héberge une Faculté des Lettres et Sciences Humaines avec trois Départements de Littérature, mais aussi pour d’autres Universités publiques et privées basées au Burundi.
Le Prix littéraire Rumuri se donne la mission de continuer à promouvoir la culture d’excellence dans la jeunesse ainsi que l’amour de l’écriture. Ainsi le prix est actuellement organisé en français et en anglais. Il est décerné au sein de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines et on envisage, dans les éditions à venir, l